L’expérience de la couleur, Musée national de céramique, Sèvres, 2017-18
Composés pour l’objectif, ces faux vrais bouquets sont orientés vers la surface de l’image. Construits aussi précisément qu’un dessin ou une peinture, ils jouent des rapports entre la couleur des fleurs et celle du fond, passant d’une influence à une autre, tantôt chinoisante, flamande, ou pop. L’apparente simplicité du dispositif ouvre sur la diversité des variantes autour d’un même motif.
Les fleurs, 2001-2006, série de 10 photographies, tirages analogiques d’après négatifs, 94 x 69 cm
Carole Fékété pour le catalogue de l’exposition
À l’origine, c’est l’éventualité d’une commande qui a suscité le projet de photographier des fleurs. Je me suis documentée par curiosité, me demandant ce que je pourrais engager sur le sujet et dans la continuité de mes recherches. Le motif est si ancien et si visité que s’y confronter s’apparentait à un exercice de style. Contrairement à mes premières séries, je commençais à ramener des bouquets pour les photographier sans avoir de projet. Les fleurs choisies, chez le fleuriste, sont des espèces modifiées. Assez sophistiquées, plissées ou en volutes, elles ne présentent aucune trace de fatigue. Photographiées à un moment de plein épanouissement, leur plastique impeccable contribue à ménager une ambiguité concernant leur statut naturel ou artificiel, de vraies ou fausses fleurs.
C’est la vue d’une colonne de papier Canson mi-teintes dans un magasin d’arts graphiques qui me donna l’idée d’installer un fond coloré derrière les bouquets. La possibilité de créer un espace monochrome permettait de jouer des rapports entre la couleur des fleurs et celle du fond. Cette mise en scène simple, en lumière naturelle, suffisait à provoquer le plaisir de la couleur pour elle-même tout en suggérant une variété d’influences, tantôt chinoisante, flamande, ou flirtant avec le kitsch. Selon le type de fleurs, les rapports colorés suggèrent un hors champ, invitent à un voyage à travers les styles, les époques ou l’exotisme tout en ouvrant sur la diversité des variantes autour d’un même motif.
L’une des difficultés de ce projet consistait à maîtriser l’architecture de ces bouquets. Faux-vrais bouquets, tournés vers l’objectif, ils s’organisent en surface aussi précisément qu’un dessin ou une peinture. Leur équilibre était aussi précaire qu’un château de cartes et je passais des heures à tenter de les édifier pour les faire tenir. J’ai photographié environ soixante dix bouquets pour n’en retenir que dix. Grâce à la douceur d’une optique ancienne que je chinais pour l’occasion, une partie de mon attention s’est portée à traduire les valeurs et la délicatesse des textures, le velouté des pétales. Le traitement de l’espace repose sur l’alternance de zones plus ou moins nettes et ménage une forme d’ambivalence entre la profondeur indéterminée du fond et la netteté des détails répartis en surface. Ces effets sont obtenus à la prise de vue et précisés au tirage, chacune des étapes est analogique, sans retouche ni intervention numérique.
La dimension des tirages oriente l’image de ces fleurs vers le portrait. Leur échelle, bien plus grande que nature, augmente le réel et participe d’un glissement, du spécimen au phénomène. Si l’enjeu de ce projet reposait sur une forme de maîtrise, il s’agissait aussi de maintenir un équilibre entre l’objectivité documentaire (la planche naturaliste), la composition florale, et une tendance à l’ornemental. Pour ce, l’organisation des feuillages et des fleurs, cadrés à la base des tiges, devait être suffisamment légère pour rester dans l’idée du bouquet tout en amorçant un principe de motif.
L’artifice mis en œuvre avec une grande économie de moyens interroge autant la nature d’une forme de vie manipulée par l’homme que le statut de l’image. Partant d’un bouquet et d’une feuille de papier couleur, la réalité photographiée relève elle aussi d’une manipulation, d’une mise en scène à l’intérieur de laquelle chaque paramètre plastique participe de l’élaboration de la représentation.